Le coup du siècle
- nawell
- 3 déc. 2020
- 5 min de lecture
Ses talons claquaient contre le bitume d’un pas pressé. Elle n’aimait pas trop trainer dans les quartiers Sud aussi tard dans la soirée mais Tony lui avait demandé de venir. Et elle n’avait pas le choix. Au loin, une voiture s’amusait à faire des dérapages dans les rues étroites. La musique qui en sortait était forte et sourde, et elle ne comprenait pas les paroles. Alice espérait que - au moins - ce n’était pas une voiture volée. Mais elle en doutait. Pour le moment, elle n’avait croisé personne, mis à part deux ou trois toxicos qui étaient déjà partis dans un autre univers. En tout cas, elle ne s’était pas faite embêter. Mais elle devait passer par la rue principale et elle savait qu’Ulrich et ses toutous allait être devant le magasin du quartier. L’avantage c'était qu’à vingt-trois heures, ce dernier était encore ouvert. Au moins, il y allait avoir de la lumière.
Alice tourna vers la gauche. Aller, plus que cinq cents mètres. Elle aperçut quatre silhouettes au loin. Bingo. Ils étaient là, comme elle l’avait imaginé. Elle serra les dents et pressa son pas encore un peu plus. Hors de question de s’arrêter un instant. D’un coup, elle entendit un sifflement qui venait du groupe. C’était parti. À deux cents mètres, la porte rouge de chez Tony semblait comme la narguer.
“Salut ma belle, alors quoi de prévu ce soir ?"
"Ulrich", elle répondit avec un petit signe de la tête, "comme tu peux te l’imaginer, je vais voir Tony."
"Vraiment ? Et tu es libre après ? On a prévu d’aller vers Cheminement, y’a une course ce soir. Ferrari. C’est à deux heures. Intéressée ?"
"Désolée, mais ce soir ça risque de prendre un peu de temps." Au moins ce n’était pas un mensonge cette fois.
"Ohhh, mission spéciale ?"
"Apparemment. "
"Alors à la prochaine ma belle. Et pense à passer me voir à l’occasion.”
Alice ne répondit pas. Ulrich avait toujours des airs de gentleman mais c’était un cinglé. Des rumeurs circulaient sur lui. Divers meurtres et agressions, notamment des gens qui n’était pas d’accord avec lui. Il la courtisait depuis des années, depuis que Tony avait emménagé dans ce trou miteux. Mais bon au moins il était tranquille. Les flics ne venaient pas souvent. DRING ! DRING !
Tony ouvrit d’un coup la porte, comme s'il l’attendait juste derrière.
“Enfin tu es là. Tu en a mis du temps."
"Désolée, j’étais occupée. J’ai dû traverser la ville, en évitant de me faire violer donc j’ai dû faire quelques détours.”
Mais Tony ne semblait déjà plus l’écouter. Il murmurait dans sa barbe. Alice pris un moment pour l’observer tout en se dirigeant vers le canapé. Le côté droit du canapé pour être exact. Il y avait une tâche suspecte sur le côté gauche et elle refusait de s’y asseoir.
Il avait l’air inquiet. Mais aussi excité. Comme juste avant un gros coup. Mais en pire.
“Alors, il y a une raison particulière pour que je sois ici, elle commença. Tu ne m’appelles jamais au dernier moment." Elle insista sur le jamais.
"On. Va. Devenir. Super. Riche. Voilà pourquoi.”
Alice fronça les sourcils. Tony n’était pas du genre à s’émerveiller pour rien, ni même à se projeter. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle elle avait accepté de travailler avec lui au début.
“Qu’est-ce que tu veux dire ?"
"Le coup du siècle. Et j’ai besoin de toi. On fait 60/40. 60 pour moi évidemment.”
Alice était impressionnée. D’habitude elle devait négocier pour avoir un petit 25 %. Elle avait réussi une fois à avoir 30 % mais c’était exceptionnel.
“Attend, on parle de combien là ?"
"Au moins 8 zéros."
"… Quoi ? Mais y’a pas des risques de fou, là ? Tu m’as toujours dit de ne jamais dépasser 4 zéros d’un coup. Parce qu’après les flics sont trop emmerdants."
"Justement, c’est le coup du siècle. J’ai déjà un acheteur, il paye la moitié d’avance. J’ai réussi à avoir des faux passeports. On se casse juste après.”
Alice était contente d’être assise au moins. C’était complètement hors de commun.
“Mais on se casse où ? On sera recherché par toute la ville. Ou tout le pays."
"Jet privé. C’est compris dans le lot. Avantage de riche j’imagine."
"Putain."
"Tu l’as dit."
"Mais t’es sûr de toi là ?"
"Oui.”
Elle le croyait. Il avait un don pour détecter ce genre de chose. C’était un gros coup. Il fallait qu’ils réussissent. Pour qu’Alice puisse partir de cette ville et recommencer tout à zéro. Et peut-être même qu’elle pourra revoir Zoé.
Alice et Tony se connaissait depuis presque quinze ans maintenant. À cette époque, Tony était déjà un précurseur, tentant le tout pour le tout pour se sortir de là. Alice faisait partie de l’équipe de natation, qui évoluait au niveau national. Leur rencontre était le fruit du hasard. Tony traînait devant le collège car il avait une livraison à vingt heures. Alice avait dû prolonger exceptionnellement son entraînement, et elle était sortie de la piscine bien plus tard que d’habitude.
Ils s’étaient rentrés dedans à l’intersection entre l’aile sportive et l’aile scientifique. Alice pouvait entendre des sirènes venant de dehors et n’avait pas réfléchi en emmenant Tony dans une cachette du collège bien connue par les nageuses : un placard, perdu dans les vestiaires des filles.
Quelques minutes étaient passées avant que Tony ne lui déballe tout : un de ses clients l’avait balancé et s’il se faisait choper, il risquait gros. Et c’est à ce moment que pour la toute première fois, ils s'associaient. La barrette valait environ cinq cents balles. Si Alice arrivait à le faire sortir de là, alors ils partageraient. 90/10. Alice avait insisté pour avoir plus. Ils s’étaient mis d’accord sur 82/18.
Quelques mois plus tard, après les championnats, Tony était revenu la voir pour lui proposer de s’associer de temps en temps. Alice avait accepté. Et c’est comme ça qu’ils étaient devenus amis. Enfin pas tout de suite mais au fur et à mesure. Jusqu’à se connaitre par cœur.
Et malgré les obligations de chacun, leur amitié est restée. Et le temps a passé. Alice a arrêté la natation après une mauvaise blessure. Ses chances d’aller aux jeux olympiques réduites à zéro, elle a commencé des études pour devenir infirmière. Puis sa petite sœur est née, sa mère est morte et son père a disparu, avec le chagrin. Zoé s’est retrouvé en foyer, et Alice a perdu sa trace pendant des années. Jusqu’à ce que Tony, il y a six mois, fasse sa découverte en piratant le serveur de gestion des services sociaux. Bien sur ses études en informatique l’ont bien aidé dans sa recherche. Cette info, c’était inespéré. Et maintenant avec l’argent qu’elle pouvait se faire, ça sentait le début d’une nouvelle vie.
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