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Le coup de téléphone

  • Photo du rédacteur: nawell
    nawell
  • 27 janv. 2021
  • 4 min de lecture

“Écoutes-moi. Je vais te payer 150 000 euros par an. Tout ce que tu as à faire c’est rester dans cette pièce et attendre que le téléphone sonne. Et peu importe ce que tu fais, ne manque sous aucun prétexte ce coup de téléphone.”



Ça faisait des années. Et ce téléphone n’avait jamais sonné une seule fois.


Et un jour, ça commence à sonner. Et je le manque d’une seconde.



“AAAAAARGHH !!!”


Le cri rebondit sur les murs blancs de la pièce presque vide, accompagné par un bruit de genoux qui tombent sur le sol. Ma main laisse retomber le combiné dans un geste mécanique. Plus personne n’est au bout de la ligne.


Je ne sais même plus en quelle année on est. J’ai oublié la sensation que ça faisait de tenir une conversation ou même le goût des mots au bout de ma langue. Mes mains et mes yeux me murmurent que mon visage est ridé et mes cheveux sont longs et gris. J’ai oublié à quoi je ressemble. Il est probablement cramoisi maintenant. Je sens que mes yeux sont pleins de colère.

Ça ne faisait pas partie du plan, merde !


D’un coup, ma conscience est interrompue par un bruit étrange venant du coin le plus éloigné de la pièce.



L’une des ampoules clignote et je la regarde passer du blanc au noir pour la première fois depuis que je suis arrivé ici.



Mon cou me fait mal en la regardant, et je laisse le reste de mon corps s’effondrer contre le mur froid. Mon être tout entier me fait mal et soudainement, la douleur me ronge de l’intérieur comme si un asticot ne nourrissait de mon estomac.

La chaîne est brisée maintenant. Je n’ai aucune idée de ce qui va suivre mais si je devais deviner, au hasard, l’homme mystérieux qui m’avait employé arrêterait d’envoyer de l’argent à ma famille et je n’ose imaginer ce qu’il me fera.


Il y a aussi des chances pour qu’il n’y ait plus d’employeur. À quand remonte la dernière fois que je l’ai vu ? J’ai arrêté de compter les marques sur les murs il y a longtemps.

Et si sa vie dépendait de cet appel ? Et s’il était mort la nuit où j’ai accepté de faire ça ? Et si cette personne était en train de faire une expérience pour voir combien de temps il faut pour devenir fou une fois isolé ?


Et s’il ne s’agissait pas seulement de cette mystérieuse personne mais de tout le pays qui comptait sur cet appel ? Ou pire, le monde entier ?


Une deuxième ampoule a succombé à l’obscurité dans un sifflement. Je l’ai regardé avec curiosité. 


Les questions ne s’arrêtent jamais vraiment de tourbillonner dans ma tête. Dans cette pièce, c’est juste moi, mon cerveau, des toilettes en acier inoxydable, six ampoules et un matelas. Ils me parlent tous maintenant dès que je suis seul. Ils sont mes amis, ma nouvelle famille, mais ils sont tous étrangement silencieux maintenant. Eux aussi regardent ces lumières s’éteindre.


Il n’y a plus de réconfort dans le silence pour moi maintenant. Ce n’est jamais arrivé avant. Ils le savent. Et ils sont partis. Il ne reste plus que le silence. Assourdissant. Qui cri directement dans mes oreilles. J’essaye de crier aussi, plus fort, pour le tuer mais je ne goûte que le sang dans ma bouche et aucun son ne sort.

Que se passe-t-il ? Pourquoi vous faites ça ? Où êtes-vous ? Qui êtes-vous ?


La troisième ampoule s’éteint.


Mes pieds tremblent et je regarde les ténèbres en face de moi. J’aimerais me souvenir comment m’enfuir ce cet endroit. Je suis terrifié et les murs froids semblent se refermer sur moi.


Ma mère ne sait pas où je suis. C’est trop silencieux. Et comment le serait-elle ? Elle n’est pas là pour me sauver. Où est-elle ? A-t-elle eu l’argent ? Est-elle heureuse ? Pourquoi n’est-elle pas là ? Pourquoi mon cœur bat-il si vite ? Est-ce elle qui m’attrape la gorge et la serre ?


La quatrième ampoule meurt dans un clignotement. 


Il n’y a pas de couleur. Je ne l’avais jamais remarqué avant. Pourquoi tout est-il gris acier ? 

Mon front perle de sueur. Mes mains sont tremblantes. 


La cinquième ampoule éclate.


La dernière clignote juste au-dessus de moi. Ma poitrine me fait mal. Il n’y a pas d’air. Juste de l’obscurité.


Il reste juste un peu de lumière. Je donne un coup de pied dans le mur. Puis des coups de poings. Je crie. Ils m’ont oublié. Ils ne savent pas que j’existe. L’ampoule continue de clignoter.


Non, ça ne peut pas finir comme ça. Non. 


NON. Je veux vivre.

La sonnerie du téléphone coupe le silence.


J’ai l’impression que la lumière perd en intensité. Il fait de plus en plus sombre.


Mes mains tremblent. Elles sont pâles. 


Je les regarde prendre le combiné et presser ce dernier contre mon oreille droite. Il y a à peine assez d’air pour parler maintenant.


“Bonjour ?”


“Tu as échoué.”


L’ampoule s’éteint.


Je ne peux plus respirer. 




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